Officiellement, l'est de la République Démocratique du Congo n'est pas un pays en guerre et pourtant il se voit confronté a un conflit armé quasi ininterrompu depuis 1998. Lors des guérillas, les violences sexuelles se sont ajoutées aux nombreux drames dont souffre la population. Ces violences sont omniprésentes et d'une ampleur sans précédent dans quelconque conflit. Aujourd'hui, le viol massif apparaît comme une nouvelle arme de guerre.
« L'acte est organisé et programmé dans le but de détruire non seulement la victime individuellement mais également les communautés. Le viol renverse les liens sociaux et familiaux. Dispersant les individus, il perturbe l'organisation même de la société. » (Observatoire international de l'usage du viol comme tactique de guerre, fondé par Caritas en 2005)
En réponse à cette réalité, Médecins Sans Frontière a décidé d'en soigner les victimes. MSF a reçu, en consultation, plus de 4000 personnes ayant subies des violences sexuelles, rien que dans la région du Nord Kivu, en 2009. 20% de ces dernières étaient des mineurs.
Cette ONG leur offre une prise en charge relativement brève. Effectivement, les psychologues estiment que des personnes qui vivaient normalement avant de subir des violences, peuvent se remettre des troubles psychiques avec une prise en charge qui ne dépasse pas une durée de 3 mois.
Les victimes sont donc accueillies par des équipes d’infirmières consultantes. Leur travail est de déterminer les faits, d'évaluer leur état physique et psychologique et de leur apporter une aide sociale, afin de réduire les risques de récidive.
Le soutien psychologique, apporté par les consultantes, s’appuie principalement sur l’écoute sans jugement. Elles adoptent une attitude douce, attentive et bienveillante, font preuve de disponibilité et use de paroles rassurantes.
Suite à ce premier entretien, les infirmières réfèrent, aux psychologues, les personnes qui entrent dans des critères de gravité prédéfinis.
La prise en charge psychologique nécessite au moins 3 consultations. Elles permettent de diminuer l'impact de la violence, de rassurer et d'aider la victime à repérer s'il y a dans son entourage une personne de confiance qui peut l'écouter. Mais compte tenu de la phase de latence spécifique à l’éclosion des troubles post-traumatiques, il est proposé une consultation supplémentaire un mois plus tard.
Pour les patientes qui présentent des troubles psychiques plus important, il leur est proposé des consultations jusqu’à la diminution des symptômes et à l’apparition d’un mieux-être durable.
Parallèlement à ces consultations, les patients bénéficient de consultations médicales.
Malheureusement, en dehors de MSF peu d'acteurs sont investis dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles.
Pour cause, la plupart de ces violences ont lieu dans les milieux reculés, où régissent les bandes armées, mobiles et cachées. La sécurité des intervenants est alors compromise et beaucoup de structures ne souhaitent pas faire courir de risques à leurs employés.
Cette activité implique également de lourdes responsabilités professionnelles, humaines et sociales. Les infirmières sont confrontées à des victimes qui dénoncent un crime et donnent parfois le nom de l'agresseur présumé. Il peut s'agir de policiers, de militaires ou même de civils socialement importants.
Les lieux d'agressions sont aussi quasiment inaccessibles, par manque de route.
A cela s'ajoute que dans le contexte du Nord Kivu, il est difficile de mener une psychothérapie suivie.
« Préciser la date d’un rendez-vous est déjà chose difficile ! Et il faut bien comprendre que si un patient trouve mieux à faire pour sa survie ou ses relations sociales et familiales, il lui sera bien difficile de donner la priorité au respect d’un rendez-vous de psychothérapie ! » (Pierre-Alexi DEMAY, psychologue coordinateur chez MSF.)
La plupart des victimes ne connaissent pas la psychologie. Elle n'existe pas dans la culture populaire, au contraire des pays occidentaux. La culture locale et la violence présente en RDC, ne facilitent pas l’expression verbale et émotionnelle. Les femmes en particulier depuis leur enfance ont appris à endurer beaucoup et à souffrir physiquement et moralement. Elles n’ont pas l’habitude de penser à elles et de s’écouter quand elles souffrent.
De plus, en RDC, il est honteux pour une femme d'avoir été abusée. Les femmes violées seront déniées par leur mari, leur famille, tout leur milieu social.
« Depuis que j'ai été violée en aout 2002, je vis dans la peur. Mon mari m'a abandonnée avec mes huit enfants, et deux d'entre eux sont morts de faim depuis. J'ai perdu beaucoup de poids. Je souffre d'insomnies et je n'ai plus la force de m'occuper de mes enfants. Mon mari dit que si je guéris, il me reprendra peut être, mais il a déjà peut être trouvé une autre femme maintenant » (une femme violée)
Ce travail demande donc beaucoup de douceur, de calme et de tact et beaucoup de mots posés par les psychologues pour gagner leur confiance et les inviter à s’exprimer.
Il s'agit, pour beaucoup, d'un travail d’écoute et d’observation des moindres détails afin de comprendre ce que vit, pense et ressent la patiente.
Parler de l’agression ne peut pas toujours se faire à la première séance. Souvent les difficultés économiques et sociales sont mises en avant et il faut savoir les écouter. Ainsi, la thérapie doit prendre en compte les implications sociales, économiques et culturelles. En cela c’est une psychologie clinique et sociale. Le travail psychothérapeutique de pensée et d’expression va permettre une récupération des capacités de vivre normalement, d’avoir de nouveau un minimum confiance en d’autres hommes, de faire des projets, de créer, d’avoir suffisamment de plaisir à exister et une bonne estime de soi.
Mais la blessure psychique profonde ne s’efface pas, elle laisse des traces et une cicatrice qui, chez certaines femmes, pourra être de nouveau douloureuse en d’autres occasions. Au moins auront-elles eu l’expérience du bienfait de parler et d’être écoutées, et peut-être sauront-elles alors trouver à qui se confier.
« C'est la première fois que je raconte mon histoire à cause de la honte et du déshonneur que je ressens en moi. Au moment de l'évènement, j'habitais un campement dans la brousse, pour me cacher et pour échapper à la guerre. Un jour, je suis partie récolter un peu à manger dans les champs. J'étais en train de travailler la terre quand j'ai entendu quelqu'un crier. Des hommes armés sont alors apparus devant moi. J'ai essayé de fuir, mais un des hommes m'a attrapée par la main et jetée à terre. Il m'a menacée de me tuer si je bougeais. Il m'a ôté les vêtements que je portais et a commencé à me frapper. Ensuite, il m'a violée. Il a introduit ses doigts dans mon corps et m'a dit que s'il avait une machette il me couperais. Je n'ai pas arrêté de pleurer et j'étais horrifiée d'être forcée de faire une chose pareille à mon âge. J'ai attendu la nuit pour rentrer chez moi, en cachant ma nudité dans le noir. Comme je suis vielle, j'ai eu très mal au vagin et au pelvis. Mais surtout, je suis en colère et je pleure chaque fois que je revis l'évènement dans ma tête »
(Femme de 70 ans violée en janvier 2002)
Pour visualiser les photos de l'action de MSF au Nord kivu, cliquer sur le lien suivant
http://laetitialegrand.over-blog.com/album-1798958.html